En Europe, nous les appelons « migrants ». Ils font souvent la une de nos journaux. Les titres sont d’une tristesse sans fond. Derrière ce nom commun, il y a la vie de femmes, d’hommes, d’enfants, de bébés. Pourtant, la majorité est anonyme.
Ils s’appellent Hassan, Siankoro, Mohammed, Jasmin, Bright, Adeitho, Nounou, Oyiba, Isatu, Ziarmal, Cheiknè, Sacky, Birahima. Ils arrivent du Mali, du Congo, de Tunisie, du Libéria, d’Afghanistan. Ils ont le statut de réfugié et vivent pour la plupart à Montmélian, en Savoie, au Foyer des Jeunes Travailleurs ou au Centre d’Accueil des Demandeurs d’Asile. C’est là que je les ai rencontrés en mai 2022.
Avant d’arriver en France, toutes et tous avaient parcouru un long chemin, laissant derrière eux leur terre, leur famille, en deux mots « leur vie ». Ils ont pris la route du départ, mus par l’espoir d’une vie meilleure, bravant les risques et puisant en eux la force de provoquer le changement. La plupart ont fui un danger et survécu à un courageux projet de migration. Ce grand voyage entrepris évoque en moi l’idée d’une odyssée moderne. L’Odyssée, ce célèbre poème d’Homère, raconte le périple d’Ulysse, héros troyen qui vécut de grandes aventures. Depuis, on désigne par « odyssée » un voyage mouvementé, semé d’épreuves. Ainsi, ces réfugiés sont tous dans mes yeux des héroïnes et des héros de l’ordinaire, d’un monde en perte de repères face à des vagues de migrations successives.
Ces portraits ont été réalisés en argentique et en grand format. La chambre photographique est un éloge du temps qui se suspend et permet l’évènement, à l’image de leur parcours. Elle s’est imposée comme un outil indispensable. Le portrait à la chambre m’a ainsi permis d’enregistrer sur un temps long, celui de leur histoire dans un noir et blanc profond, la partie cachée. J’ai fait de la distance qui nous sépare un entre-deux où l’espace d’un simple pas devient un enjeu. La géométrie de cet espace vide préfigure le mouvement du voyage intérieur. Elle interroge chacun sur sa propre distance à l’autre, à sa nature même : celle d’un obstacle ou d’une opportunité.
Je les ai retrouvés pour la plupart en mars 2023, lors de l’accrochage de leurs portraits au Foyer des Jeunes Travailleurs de Montmélian. J’avais apporté avec moi des cartes de correspondance. Je leur ai demandé de m’écrire un mot et leur ai précisé que l’écriture était libre. Une anecdote, un rêve, une envie, une note d’humour, un dessin. Chacun a pris la plume. Ces écrits personnels viennent prolonger aujourd’hui ce travail et sont conservés précieusement dans une boîte unique contenant les tirages originaux.
Odyssée, l'exposition
Odyssée
Début 2023, j’ai proposé au Foyer des Jeunes Travailleurs et au CADA de Montmélian de leur offrir une grande affiche pour prolonger le travail réalisé l’an passé, lors du festival photo de Montmélian.
Hier soir, le FJT a accroché les tirages de l’exposition de l’an dernier dans la salle de restauration du foyer et a invité toutes les personnes photographiées à venir nous rejoindre.
J’ai alors demandé à chacun de m’écrire un mot, sous une forme libre – une anecdote, un rêve, une poésie, une réflexion spirituelle, une prière, une note d’humour ou un dessin – dans leur langue maternelle ou en français. Ces écrits viennent poursuivre et compléter le travail de l’an passé et vont être consignés dans une boîte avec les tirages contact.
J’ai été très heureux l’an passé de voir ces portraits accrochés dans le coeur de la ville de Montmélian. On pouvait difficilement les manquer.
Je remercie toutes les personnes présentes hier soir, le FJT et le CADA de Montmélian. C’était un moment émouvant.